OliveM

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Poil à Gratter pour démanger

samedi 5 octobre 2013

[Paris] COMMEMORATION DE L'ASSASSINAT DE THOMAS SANKARA

15 octobre 1987 - 15 octobre 2013
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COMMEMORATION DE L'ASSASSINAT DE THOMAS SANKARA
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Vendredi 18 octobre à 18h30
à la Maison de L'Afrique - IREA
7 rue des Carmes - 75005 Paris

Avec la projection des films :
- "Thomas Sanakara" de Balufu Bakupa-Kanyinda
- "Sankara dans mes rimes" de Baoui Jean Camille Ziba

Et débats, témoignages...


Sinon, ce livre :

« L'AFFAIRE SANKARA » de Antonio Lozano
Ed. Kiyikaat, Octobre 2013

Ce livre est la traduction par l’espagnol de « EL CASO SANKARA », le Roman policier de l’écrivain Antonio Lozano qui a obtenu le 4 mai 2006 le prix international Ville de Carmona (Premio internacional de novela negra). Le lancement du livre est prévu pour le 15 octobre 2013. Des interviews sont prévues sur TELESUD dans l'émission: « INVITE DE L'HISTOIRE » ( http://www.telesud.com/emission/linvite-de-lhistoire/) à la radio également avec Mr. Lozano.

Le livre est en vente à 20$ aux Editions Kiyikaat à Montreal Canada
http://www.kiyikaat.com/product.php?id_product=305

Un interview à Antonio Lozano au site http://thomassankara.net/spip.php?article185&lang=fr

Un extrait du livre : DIALOGUE ENTRE THOMAS SANKARA ET FELIX HOUPHOUET BOIGNY

« ... Le Jet M 20 de Houphouët-Boigny sillonnait le ciel africain avec un invité spécial à bord : Thomas Sankara. Les deux chefs d’État revenaient d’Addis-Abeba, où ils avaient participé à la Conférence annuelle de l’Organisation pour l’Unité Africaine.
Au Burkina Faso, on appelait “avion stop” l’habitude du PF de se faufiler dans les avions d’autres présidents. Il avait décidé que son pays ne pouvait pas se permettre le luxe d’acheter un avion présidentiel, et chaque fois qu’il y avait une réunion panafricaine, il se débrouillait pour qu’un collègue atterrisse à Ouagadougou. Il avait demandé à Seyni Kountché, son homologue du Niger, de le prendre à l’aller.

“Papa Houphouët”, comme on appelait le doyen des indépendances, profita de l’occasion pour que le petit jeune impertinent qui lui faisait de l’ombre chaque fois qu’ils se trouvaient ensemble se sente redevable envers lui.
Il insista sur ses témérités et lui rappela que sa patience de bon voisin avait des limites

– Qu’est-ce que tu prétends avec tes insolences sur la dette, notre mort à nous tous?

Les présents à la Conférence s’étaient levés la veille pour applaudir après les paroles de Sankara :
Ce ne sont pas les peuples qui ont contracté cette dette. Ils n’en ont même pas profité. Elle a été imposée au Tiers Monde par les fabricants de faims, les marchands de misère. C’est moralement indéfendable, politiquement inacceptable, mathématiquement non remboursable. Il faut l’annuler et il n’y a qu’une seule solution : la lutte solidaire des pays endettés.

Les bravos à ses paroles touchaient comme des flèches l’amour propre d’Houphouët. Que le discours du “petit” fasse de l’ombre au sien était au-delà du supportable. Son indignation augmentait au rythme des paroles de Sankara :

Nous entendons parler partout de clubs. Le Club de Rome, le Club de Paris, club de partout. Nous entendons parler de groupes : le Groupe des Cinq, le Groupe des Sept, le Groupe des Dix. Il est donc normal que nous ayons nous aussi notre club et notre groupe. Faisons en sorte que, dès aujourd’hui, Addis-Abeba devienne également le siège, le centre d’où partira le souffle nouveau du Club d’Addis-Abeba. Nous avons tous le droit de créer aujourd’hui le Front Uni d’Addis-Abeba contre la dette.

Le PF savait que le prix à payer pour monter dans le Mystère 20 était de supporter les charges du Vieux. À cause de son âge et parce qu’il était son invité, il lui devait le respect, mais non la soumission. Il se savait aux antipodes de ses idées, de ses intérêts. Il le méprisait intérieurement. À cause de sa trajectoire de caméléon, à cause de sa trahison à l’esprit des indépendances. Il n’était plus la bête noire des Français. Il était devenu leur meilleur vassal, le principal défenseur du néocolonialisme dans la région, chargé de ramener au bercail, bon gré mal gré, ceux qui désobéiraient au règlement du jeu dicté par la France. Jusqu’alors, le Vieux avait réussi bon gré.
Parce qu’il ressentait pour lui une certaine admiration et parce que dans un lieu lointain de sa déjà longue vie, un Sankara avait existé. Toutefois, les signes d’impatience étaient de plus en plus visibles, et il pouvait passer à l’action à tout moment.

Peut-être l’avait-il déjà fait. Au fond de lui, il soupçonnait de plus en plus qu’Élodie de la Fressange – avec laquelle Blaise lui avait annoncé son mariage avant de partir pour Addis-Abeba – était un ver introduit par lui dans la pomme de la révolution burkinabè. Depuis que le Vieux avait présenté la mulâtresse à Compaoré, les voyages au palais présidentiel de Yamoussoukro avaient été ininterrompus. Les liens entre son ami et son ennemi se renouaient dangereusement. Il se devait d’être extrêmement vigilant, de prévenir Blaise sans l’offenser. Il n’y a pas de cœur plus désarçonné que celui d’un homme amoureux.

– En ce moment, Houphouët poursuivit ses attaques, Mitterrand a dû lire déjà ton invitation à ne pas payer la dette. Crois-tu qu’il doit être content?

– Ma mission n’est pas de plaire aux Français, mais de sauver mon peuple, Tom Sank resta serein.
Houphouët l’avait entraîné dans son terrain favori, où il disposait de l’arme la plus menaçante : la raison. Il était prêt pour l’affrontement.

– Ton peuple ne se sauvera pas sans l’aide française. Ton peuple n’est rien sans la coopération internationale, sans le soutien du Fond Monétaire International, de la Banque Mondiale.

– Les recettes du FMI sont faites pour augmenter la dette, pour être plus dépendant, et vous le savez parfaitement.

– Jusqu’à un certain point, c’est vrai, mais il est encore plus vrai que sans l’argent qu’il te prête, jamais tu ne pourras obtenir cette indépendance dont tu parles tant.

– Nous voulons poursuivre notre propre modèle. Personne mieux que nous ne sait ce qui est préférable pour notre pays. Ils nous obligent à importer ce que nous pouvons produire nous-mêmes, ils créent dans la population des besoins qu’ils n’ont pas. Pour eux, nous ne sommes qu’un lieu où obtenir leur matière première et vendre leurs produits. Ce sont eux qui fixent les prix de ce que nous leur vendons et de ce que nous leur achetons. Est-ce là un commerce équitable?

Houphouët appuya sur un bouton à côté de son siège. Il demanda un whisky au serveur qui accourut à son appel.

– Tu devrais en prendre un de ceux-ci de temps en temps, lança-t-il ironiquement, peut-être tu verrais la vie avec d’autres yeux.

– Non merci, je préfère de l’eau. Pour ne pas changer d’yeux, pour continuer d’être toujours le même.

Le Vieux encaissa le coup. Le PF l’avait habitué à des impertinences de ce genre. Pourquoi supportait-il de lui ce que personne n’osait même pas insinuer? Il s’était posé souvent la question. Sa réponse était toujours la même : “Il y a une limite à ma patience”.

– Comme toi Mitterrand est un homme de gauche, Houphouët choisit le ton de la conciliation. Et comme moi, même si tu crois le contraire. Tu dois profiter de ce qu’il est maintenant au pouvoir pour avoir part au gâteau. Il a pour toi plus de sympathie que tu ne l’imagines.

– Quand nous sommes arrivés au pouvoir, le 4 août, il venait d’accorder un crédit de trois milliards de francs CFA au gouvernement précédent. Le 5 août, il l’avait déjà annulé.

– On ne prête pas de l’argent aux inconnus. Il est normal qu’il ait été prudent.

– Des années sont passées et il continue d’être aussi prudent. Il conditionne ses prêts à notre obéissance. Est-ce cela l’indépendance, les relations entre pays libres?

Houphouët but une longue gorgée de son whisky. Il exhala un profond soupir.

– Je vais te dire une chose, Thomas, et j’espère que tu ne m’en voudras pas, son ton devint paternaliste. Je te dis ceci comme je le dirais à mon propre fils, car, bien qu’il y ait beaucoup de choses chez toi qui m’irritent, j’éprouve de l’admiration pour ton courage et pour la sincérité de tes actes. Mais tu as un défaut impardonnable en politique.
Tu es naïf, Thomas Sankara, candide. Tu crois que tu peux parcourir ce monde comme une brebis innocente, et tu te trompes d’un bout à l’autre. Tu aurais dû écouter tes parents et te faire curé. Ce que tu dis, on ne peut le dire impunément qu’à la messe. Les angelots deviennent curés ; les loups, hommes politiques. Et la jeune brebis qui s’égare et va là où elle n’a rien à faire, finit par être dévorée par les loups.

Sankara garda le silence. Il avait écouté ce discours des dizaines de fois. Il préféra ne pas lui donner à Houphouët son opinion sur les loups. Peut-être derrière le conseil paternel se cachait une menace. Il se remémora le commentaire, lors d’un meeting organisé à Gnangologo, à la frontière avec la Côte d’Ivoire, d’un membre du gouvernement révolutionnaire qui l’avait appelé vieux crocodile : “Oui”, répondit-il, “je suis un vieux crocodile qui dort les yeux bien ouverts, un crocodile que se nourrit de capitaines”.

– Quel est votre conseil? demanda-t-il en fin.

– Mon conseil est celui-ci : être un politique honnête, un gouvernant qui cherche ce qu’il y a de mieux pour son peuple, n’est pas incompatible avec le fait de savoir nager dans les eaux troubles de la politique internationale. Non seulement cela n’est pas incompatible, mais indispensable. Tu auras beau parler d’indépendance, de dignité, et de toutes ces choses qui sont parfaites pour flatter les oreilles du peuple, tu dois savoir qu’ici, c’est la France qui commande, et que, si tu veux seulement bouger le petit doigt, c’est à elle que tu dois demander la permission.
Parce que tes petits amis de Tripoli et de Moscou pourront t’envoyer un cadeau de temps à autre, mais celui qui prend les décisions en fin de compte c’est le président de la République française. Ne lui lèche pas les bottes, mais comporte-toi en ami. Lui, il t’aidera à sauver les apparences, il est le premier intéressé pour que tout le monde pense qu’il te traite d’égal à égal. Ne le mets pas dans l’embarras.

Ses incidents avec Mitterrand avaient fait la une des journaux. Mais, qui les avait provoqués? Devait-il rester impassible devant les perpétuelles humiliations?

– Ce n’est pas moi qu’il offense mais mon peuple. Envoyer un subalterne chercher le président d’une République indépendante, est-ce cela le traiter d’égal à égal? Aurait-il fait de même avec le président des États-Unis? Eh bien, il doit savoir que le peuple du Burkina Faso mérite exactement les mêmes égards que le peuple américain.

– Tu n’as même pas tendu la main à celui qui est venu en son nom, lui reprocha Houphouët.

– Vous savez très bien qui était cet individu, le PF commença à perdre son sang froid. Guy Penne, le “Monsieur Afrique” de Mitterrand. Celui qui, comme par hasard, était à Ouagadougou avec “petit cube Maggi” le 16 mai, peut-être qu’il supervisait le coup d’État et mon arrestation.
Celui-là-même en l’honneur de qui le président offrit un déjeuner pour célébrer ma destitution en tant que premier ministre, pendant que je crevais dans un cachot de Ouahigouya. Et il a le culot de l’envoyer sous mon nez, au pied de la passerelle de l’avion, avec son sourire détestable et sa main répugnante qui attendait la mienne. Peut-on envoyer un message plus clair ?
Qu’est-ce que Mitterrand espérait? Me donner une leçon, me laisser entendre clairement qui est qui? Eh bien il le sait à présent. Il sait très bien maintenant qui nous sommes et c’est très bien comme ça. S’il pense que son argent va lui servir à faire de moi son esclave, il sait fort bien où il peut se le mettre.

– Tu n’es rien à côté de lui, capitaine, tonitrua le Vieux. Tu peux continuer à faire ta révolution sans problèmes parce que personne n’a que faire de ce qui se passe dans ce pays où il n’y a rien à en tirer. Mais fais attention, ne lance pas de par le monde tes petits messages à la Che Guevara, ne fourre pas ton nez chez les voisins, car même ton cher ami Kadhafi en a assez.

D’un geste il laissa entendre que sa conversation était finie et coupa net la réponse de son hôte. Tout était déjà dit. Il ne pouvait pas supporter davantage d’insolences. Il avait fait tout son possible pour ramener au bercail la brebis égarée, mais il était inutile de parler avec cet homme suffisant et têtu. Les bonnes paroles étaient terminées .. »

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