OliveM

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Poil à Gratter pour démanger

jeudi 17 février 2011

Réponse au long courrier de Député-Maire d'Evry, M.Manuel Valls (au sujet de son sketche récent sur les 35 heures)

Monsieur Valls,

Merci de votre longue réponse en date du 31/1, même si à vrai dire et pour être honnête je n'y vois guère d'arguments tangibles et fonciers susceptibles de justifier votre remise en cause des 35h.

En me taxant dans votre réponse de "virulence peu constructive dans mes propos" (relativement à mon courriel en date de janvier 2011), vous faites sans doute allusion au ton certes un peu "taquin" dont je faisais montre pour vous interpeller sur le sujet. Aussi, je vais m'efforcer dans cette contre-réponse d'aborder cette question du temps de travail plus au fond, de façon circonstanciée.

Il ne suffit pas d'être excentrique (au sens propre du terme) ni de partir en croisade contre les soit disant sans "tabous" pour être dans la justesse ni dans le cartésiannisme de gauche. Ce serait trop simple et ça se saurait :-).

Quand on est de gauche, il convient à mon avis de s'interroger sur les modalités du partage de la valeur ajoutée productive entre rémunération du travail et rémunération du capital. Il est en effet de notoriété publique que, si le patronat est partisan notable du démantèlement des "35h", c'est notamment pour viser à un partage de la dite VA plus en faveur du capital.

Ce terrain-là reste encore, en 2011, un terrain clivant "gauche/droite" ou plutôt "conservateur/progressiste", et je ne vois pas bien comment l'un des présumés responsables du parti présumé socialiste pourrait dire le contraire (...). Vous vous faites fort dans votre courrier de ne faire aucun "tabou" de ce genre de débat. Mais tout ça n'est pas une question de "tabou". C'est plus selon moi une question de cohérence de ligne politique.

Parlons par exemple pouvoir d'achat. "Pouvoir d'achat", "pouvoir d'achat"... Vous parlez là du pouvoir d'achat des salariés que vous voudriez voir renforcé par l'allongement de la durée du travail. C'est en fait le seul argument un peu construit que vous avancez, me semble-t-il. En soit la chose est défendable, certes. Mais je crains que ce ne soit un peu l'arbre qui cache la forêt. Je m'explique : en disant ça vous ne parlez guère du "non-pouvoir d'achat" des 4 millions de chômeurs ! Vous insistez sur le gel des salaires sur ces dernières années, et se polariser sur le pouvoir d'achat des masses plus ou moins laborieuses part sans doute d'un bon sentiment. Mais, personnellement, dans un pays où il y a plus de 4 millions de chômeurs, cela ne me choque pas qu'on privilégie le partage collectif du temps de travail à l'accroissement du temps individuel de travail pour les "chanceux" qui ne sont pas chômeurs !

Dans la même lignée, dans votre réponse vous évoquez les milliards d'euros par an dont la déformation du partage des revenus priveraient les salariés. Mais vous omettez de souligner que cette déformation est indissolublement liée au peu de revenus qui sont ceux des millions de chômeurs ! Vous évoquez le niveau insuffisant des salaires comme étant l'un des facteurs explicatifs premiers de la crise récessionniste actuelle, mais vous oubliez de dire que le premier facteur d'affaiblissement des salaires reste quand même le chômage structurel de masse !

Il me semble qu'il faut savoir se fixer des priorités sociales, surtout quand on se dit de gauche. Et traiter les problèmes sociaux par ordre de priorité. Il y aurait sans doute là une certaine forme de lucidité. Un certain "sacrifice salarial" pour faire en sorte que les partages des gains de productivité "financent" le partage du travail c'est à dire la lutte du chômage "structurel" devant conduire accessoirement à une meilleure utilisation des facteurs de production, cela ne me choque pas en tant que tel, loin de là. En tant que citoyen de gauche un tant soit peu rigoriste, c'est même un impératif que je revendique.

Vous soulignez, sans doute à juste titre, que le passage aux 35 heures n'a pas été la panacée et que cela n'a pas empêché la remontée du chômage. Certes, mais il reste que les 35 heures ont contribué à la création de plusieurs centaines de milliers d'emploi, même si certains s'étaient sans doute fait des illusions sur ce terrain-là. Au demeurant, aucune mesure quelle qu'elle soit ne constitue "la panacée". Si tel était le cas, ça se saurait. Vous dites aussi que les 35 heures ont pesé sur les salaires, mais vous oubliez de préciser qu'elles ont aussi conduit, même si ça n'était pas le but du jeu, à renforcer la productivité moyenne du facteur travail - lequel niveau de productivité français est désormais le plus élevé en Europe.

A l'INSEE où je travaille, j'ai eu l'occasion de travailler sur l'évolution des coûts salariaux. En toute modestie, je suis donc assez bien placé pour savoir que les gains de productivités induits par le passage aux 35h ont été supérieurs à la croissance des coûts salariaux induite par ce même passage aux 35h. Or cette présumée atteinte aux coûts salariaux et à notre productivité relative est le second argument des tenants du "travailler plus pour gagner plus". C'est ce prétendu "problème" que nous rabâchent sans cesse les adversaires plutôt têtus des fameuses 35h ! Ce, même si la façon sans doute trop monolithique de l'époque d'instaurer les 35h (lois dites "Aubry") peuvent en effet poser question, notamment du point de vue des pouvoirs de régulation et de concertation inhérents aux conventions collectives (...)

Par ailleurs, je vois un paradoxe dans votre prise de position. D'un côté vous dites que revenir sur les 35 heures ne doit pas constituer un tabou, de l'autre vous dites vous-même que ce dispositif a été progressivement "détricoté" depuis 7 ans. Il faudrait savoir ! A partir du moment où l'on fait le constat que ces fameuses 35 heures ont été "détricotées" au profit du patronat, je comprends assez mal l'intérêt et l'enjeu du discours visant à vouloir revenir dessus !

Enfin, le dernier "argument" des tenants de la déréglementation du temps de travail peut presque prêter à sourire (en tous cas selon moi) : il s'agit du facteur "relance de l'économie" que constituerait l'accroissement de pouvoir d'achat induit par l'abandon des 35h : au plan macro-économique, cette vision des choses est en réalité assez fantaisiste. Il faut en effet avoir présente à l'esprit la notion "d'élasticité consommation/revenus" : plus on est en bas de l'échelle salariale, plus la propension à consommer est évidemment élevée. Or au plan salarial, les chômeurs à temps complet ou à temps partiel constituent par définition "la France d'en bas". L'impact "relance de l'activité" du partage du temps de travail reste donc par définition bien supérieur à celui du "travailler plus pour gagner plus" auquel on peut assimiler votre récente prise de position sur les 35 heures....

Tout ça ne tient donc pas uniquement de considérations sociales "à priori de gauche", mais aussi de considérations liées à la bonne compréhension des rouages de l'économie de marché... De ce point de vue, il est certain que mon point de vue est ici est bien plus proche de la lecture keynésienne de l'économie que des lectures néo-libérales si chères aux tenants du "travailler plus pour gagner plus" - l'école dite "néo-libérale" ayant été l'une des principales sources d'inspiration du programme UMP sarkoziste de 2007 - 4 ans plus tard on voir du reste où l'on en est, le dénommé Sarkozy étant désormais amené à défendre les vertus de l'interventionnisme, qui au G8, qui au G20 (...)


Enfin, de façon plus accessoire et du point de vue plus "politique" au sens "politicien" du terme : je pense évidemment que votre prise de position, si iconoclaste ou "anti-tabou" au sein du PS se revendique-t-elle, est très très très mal venue politiquement parlant. Il est peu de dire que vous donnez là du grain à moudre à la droite, et que ce genre de discussion venant d'un membre du PS constitue du pain béni pour l'UMP en général et pour la Sarkozie en particulier. Ce genre de propos alimente puissamment le fameux slogan sarkozien de 2007 dont à peu près tout le monde est revenu 4 ans plus tard : le fameux "travailler + pour gagner +".

Pour moi et d'une certaine façon, c'est à se demander où est l'opportunisme politique de votre prise de position sur ces fameuses "35h", même en tenant compte de votre irrésistible besoin de vous démarquer et de vous faire remarquer au sein du PS - par exemple dans la perspective de 2017 :-). Se faire remarquer pour se faire remarquer, le cas échéant en contradiction (voire en contravention) avec la ligne de pensée de sa propre formation politique, ça n'est pas forcément une condition suffisante pour participer au débat des idées de la façon la plus cartésienne ni la plus judicieuse... En tous cas je n'en suis pas vraiment convaincu. Et je dis ça alors même que je ne suis encarté nulle part, et que je n'ai pas l'intention de le devenir.
Même si je me déplacerai aux seconds tours pour aller voter à gauche.

Meilleures salutations.
Olivier Montel

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